A pied dans Grasse

26/01/2008

- La villa Croisset

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Jardin de 20000 m2, non inscrit aux monuments historiques.

Ancienne propriété de Mme Francis de Croisset, mère de Marie-Laure de Noailles.


Aquarelle de Jacques Lambert, revue « L’illustration » de Noël 1922

« C’est à Grasse, à la villa Croisset, dont les travaux durèrent plus de sept ans, que je conçus la première et la plus importante réalisation de mon oeuvre méditerranéenne. Située sur la route de Magagnosc qui mène à la vallée du Loup, elle domine l’immense perspective qui va des derniers contreforts des Alpes au Golfe de la Napoule. On ne peut s’empêcher de songer à la vue du cloître d’Assise qui découvre la vallée de Pérouse. C’est le même caractère ombrien, vaste et presque illimité » … (Ferdinand Bac, l’Illustration, Noël 1922).

Auto-portrait à 17 ans
    1943

Arrière-petit-fils illégitime du roi Jérôme, frère de Napoléon 1er, peintre, décorateur, dessinateur humoristique, critique d’art et mémorialiste du Second Empire, Ferdinand Bac (1859-1952) avait plus de 50 ans lorsqu’il se découvrit une vocation de créateur de jardins. Depuis le jour où visitant, près de Grasse, en 1908, l’Ermitage de Saint François, avec « sa cour nymphée, ses cascatelles rustiques, son bosquet de cyprès et de myrtes à flanc de coteau », il avait eu la révélation d’une beauté exactement adaptée à un sol. Il s’attacha à une oeuvre de rénovation dont la Villa Croisset marque la première étape.

Au début du XXème siècle, la Côte d’Azur était marquée par près d’un siècle d’architectures éclectiques aux murs blancs, et de jardins aux tracés paysagers où foisonnaient les plantes exotiques.

« Seul un voyageur ayant une longue expérience de la légitimité des formes régionales, ayant donné un résultat né de sa seule logique, seul un homme attentif à ces traditions pouvait être choqué de la tranformation de cette Riviera française en cette `Côte d’Azur’ en plâtre et en chamérops »… (Ferdinand Bac, Noël 1943)

Comme avant lui l’architecte anglais Harold Peto (1854-1933), Bac était à la recherche d’un style qui trouvait son inspiration dans les traditions de l’Antiquité classique et de la Renaissance. Voyageur érudit, il rassembla ce qu’il avait vu de meilleur autour de la Méditerranée et en fit un nouveau style pan-Méditerranéen, qui était fondamentalement d’esprit latin et italien.

En 1912, au cours d’un dîner, il propose à Marie-Thérèse de Croisset de transformer sa maison dépourvue de tout caractère et de créér un jardin dans un site agreste doté d’une admirable vue sur la campagne de Grasse. Et l’artiste-écrivain-constructeur nous raconte :

« Notre propre tentative dans le sens d’une libération du plâtre et de l’emploi exclusif des plantes tropicales se produisit un soir de Noël 1912, dans une `villa Thérèse’ à Grasse… Si ce domaine, me demandai-je alors, si dépourvu de caractère avec sa terrasse de gravier et ses grappes de palmiers-balais, était à moi, que ferais-je pour encadrer cet incomparable paysage à ses pieds, pareil à celui de Pérouse ou d’Assise, que ferais-je pour honorer cette perspective infinie qui à travers les vallées rejoint la mer ? Aussitôt pensé, je me suis mis à gâcher un grand nombre de papier à lettre sur lequel je traçai d’une main nonchalante une suite d’arcades, de cours, de jardins clos, à travers lesquels on devait apercevoir, dans une douce captivité, l’enchantement d’une nature qui avait de tout temps - et si souvent en vain - invité les hommes à lui rendre hommage. Le lendemain déjà, on se mit à l’oeuvre. Et ce fut la Villa Croisset… » (Ferdinand Bac, Noël 1943).

En 1914 la guerre interrompit brutalement les travaux ; mais une fois l’oeuvre terminée, on trouve dans ce coup d’essai les principes d’une « renaissance des jardins méditerranéens » :

Tout d’abord, la simplicité. Bac épure ses architectures pour ne garder que des formes simples, souvenirs épurés de l’architecture de Palladio et des jardins d’Andalousie, réalisés à échelle humaine avec des matériaux modestes.

« Lorsque je conçus, en 1913, mes premiers essais de rénovation méditerranéenne par la simplicité, cette idée, bien nette, s’était dégagée pour moi d’un retour aux matériaux `pauvres’, ayant leur origine dans la construction rustique de la région… La grâce méditerranéenne est aisée, elle tient dans le creux de la main. » (Ferdinand Bac, L’illustration, Noël 1922)
Le second principe est la recherche un accord entre habitation, jardin et paysage à l’aide de `cadrages’ très structurés, végétaux ou construits, intégrant le paysage au jardin.« Le paysage réclamait une architecture arcadée… L’élévation de cette arcature de plus de cent mètres de longueur fit soudain de ce panorama une galerie de tableaux où chaque arche révélait un aspect nouveau… »
Enfin, la couleur : les chaudes couleurs orientales, « les ocres, les roses et les safrans », et le choix de la « couleur complémentaire à ces verdures sombres, le rouge vénitien, employé dans les badigeons » :« Depuis plus de quarante-cinq ans, les entrepreneurs… avaient fait du ripolin leur dieu et introduit le blanc cru dans les aspects extérieurs de toutes les habitations. Avec le plâtre et les stucs, ces façons créaient une monotonie crayeuse et aveuglante dans un pays visiblement né pour la couleur. Car, si le blanc joue un rôle utile comme auxiliaire de la propreté, il était devenu, par l’abus excessif qu’on en avait fait partout, un véritable fléau optique. Ces innombrables cubes qui reçoivent, par surcroît, la réverbération scintillante de la mer sont intolérables à regarder… C’est dans les tableaux de Carpaccio que je trouvai ce badigeon de rouge et, en le comparant au fond des oliviers dont les montagnes sont couvertes à Grasse, j’y découvris leur complément chromique. Aux rayons du soleil couchant, il prenait, dès lors, la translucidité des pierres précieuses posées dans ces montagnes comme un écrin » (Ferdinand Bac, L’Illustration, Noël 1922).La remise à l’honneur des variétés méridionales cultivées depuis l’Antiquité fait aussi partie de ses idées. Autour de la Villa Croisset, inspiré par le cloître d’Assise, il avait fait planter d’immenses cyprès, « grandes pyramides sombres qui ombragent les patios ». Avec l’olivier, `éternel et deux fois sacré’, ce sont les arbres qui permettent à une architecture sensible et nostalgique de rendre sa latinité au paysage.

Pour couronner l’oeuvre de Grasse tout imprégnée d’une « harmonie franciscaine », une chapelle dédiée à « Saint François dans la solitude » fut édifiée au sommet du jardin :

« Elle est située dans le silence, en retrait d’une petite place où s’érige un calvaire. La vue descend sur les toits du cloître , sur les jets des fontaines, sur ces grandes pyramides sombres des cyprès qui ombragent les patios. C’est l’illusion d’un mirage de Grenade. Par-dessus ces vieilles tuiles rondes, ces nappes d’eau dormante d’un vert profond, les regards plongent jusqu’à la lointaine mer argentée où, en un dessin si noblement composé, tombent mollement les silhouettes estompées des Maures.

Cette chapelle fut ornée de peintures, de vitraux qui rompaient avec tous les raffinements modernes par le seul emploi de l’éclat naturel des verres, d’un dessin archaïque ». (Ferdinand Bac, L’Illustration, Noël 1922)

Après la Villa Croisset, Ferdinand Bac transformera, pour la comtesse de Beaumont, la villa Fiorentina au Cap Ferrat, puis créera les Colombières à Menton, son oeuvre majeure, où il vivra jusqu’à sa mort. Classé monument historique, ce jardin survivra à son créateur, et est aujourd’hui une des gloires des jardins mentonnais.

La villa Croisset a eu moins de chance. Vers 1975, la villa et la plus grande partie des jardins furent détruits et remplacés par les immeubles actuels. Dans la partie Nord-Est où subsiste encore la chapelle, on peut encore respirer « l’harmonie franciscaine » de ce qui fut une des plus belles réalisations du littoral, un jardin historique, un élément essentiel du patrimoine de Grasse. Pour que de telles destructions ne se reproduisent plus, laissons à Ferdinand Bac les derniers mots :

« … la leçon méditerranéenne nous appelle au charme de la vie dans sa sagesse et sa robuste mesure, née d’un sol heureux. Hâtons-nous de nous en rendre dignes en combattant l’anarchie esthétique. Elle a profané et meurtri le plus beau site de France par une trop longue pratique de l’ignorance dans laquelle on tenait les lois essentielles qui créent la beauté sur les terres de soleil. Les jardins… doivent nous inviter à croire que la vie est douce et que la paix règne parmi les humains ». (Ferdinand Bac, L’illustration, Noël 1922).

Voyons maintenant ce qui reste de ce jardin.

De l’oeuvre de Ferdinand Bac, presque rien ne subsiste aujourd’hui. L’un des trois immeubles construits vers 1975 occupe l’emplacement de la villa détruite. Seul le secteur Nord-Est du domaine (en copropriété) présente encore quelques vestiges de ce que fut ce merveilleux jardin : ici ou là, une arche où le badigeon de rouge vénitien tient encore, un dallage de briques en quinconce, la base circulaire d’un kiosque, et surtout, bien émouvante, la chapelle.

« Des gamins et des vieillards travaillaient à faire des dallages de briques romaines, des mosaïques avec les galets de la mer, selon les règles du plus vieil art méditerranéen. » (Ferdinand Bac, 1922)

La chapelle dédiée à « Saint François dans la solitude » est encore debout. Avec le terrain d’environ 1000 m2 qui l’entoure, elle appartient aujourd’hui à l’évêché de Nice.

« Cette chapelle fut ornée de peintures, de vitraux qui rompaient avec tous les raffinements modernes par le seul emploi de l’éclat naturel des verres, d’un dessin archaïqué (Ferdinand Bac, 1922) (ici la colombe - un thème pictural cher à Ferdinand Bac).
« les grilles au feuillage ferronné » (Ferdinand Bac, 1922)
Au-dessus de la porte de ce qui était une cellule de retraite, une inscription : « Cellula continuata dulcescit » (la cellule devient douce à force d’y demeurer), citation adaptée de l’Imitation de Notre Seigneur Jésus-Christ (chapitre 20, « de l’amour de la solitude et du silence »).

Où sont les patios, les jets d’eau, les « appartements secrets », où l’on trouvait « l’intimité, la solitude avec un livre, l’harmonie recueillie » ? À jamais disparus. Aujourd’hui les terrasses dominent un paysage toujours somptueux. De vieux oliviers, quelques immenses cyprès témoignent encore du jardin que Ferdinand Bac avait conçu, après la Grande Guerre, comme « une oeuvre fertile de paix qui pouvait, en quelque manière, donner plus tard une impulsion à ce pays et une source d’inspiration pour l’avenir » (L’illustration, 1922).

« Au cours de ma vie », écrit Marcel Gaucher*, « j’ai été le témoin du démantèlement et de la disparition des parcs les plus merveilleux qu’il m’ait été donné de connaître. La sagesse commande de garder la sérénité face aux pratiques de notre monde moderne, mais comment accepter la destruction de parcs paysagers irremplaçables ? »

On ne peut s’empêcher de penser que l’essentiel de l’oeuvre de Bac aurait pu être préservée si deux immeubles seulement avaient été construits (le troisième occupant l’emplacement exact de la villa Croisset). Il reste à formuler le voeu que la chapelle et ce qui reste du jardin soient enfin classés, restaurés, et rendus accessibles aux visiteurs au cours des Journées du Patrimoine.

*Marcel Gaucher, Les jardins de la fortune, Hermé1985 ; l’auteur, né en 1906, grandit à Grasse à la Villa Victoria où son père était chef jardinier ; lui-même consacra sa vie aux jardins).

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